Bruno Spire aime croiser les regards et les expériences, ceux de ses homologues chercheurs, ceux aussi des militants qu’il côtoie en tant que président de AIDES. Lassé –mais pas résigné – par l’immobilisme des responsables politiques, il répète à l’envi combien l’expertise des patients est précieuse.
Il est des êtres pour qui la notion de partage n’évoque pas une simple valeur, mais rythme jusqu’à leur emploi du temps. Bruno Spire, l’actuel président de AIDES, est un homme de partage, c’est aussi un être partagé. Entre sa vie de chercheur en sciences sociales et celle de responsable associatif. Entre Marseille et Paris pour mener de front ces deux fonctions. Dans son parcours qui mêle sciences dures et sciences humaines. Mais le chercheur-militant d’aujourd’hui 52 ans a l’art de la synthèse et semble avoir transformé un motif d’éparpillement en synergie constructive.
L’interdisciplinarité comme fil rouge
1983 : une maladie dévastatrice fait son apparition dans la communauté homosexuelle californienne. Bruno Spire est alors étudiant en médecine, il n’a que 22 ans et entame un stage à l’Institut Pasteur, dans le laboratoire de recherche fondamentale de Françoise Barré-Sinoussi (prix Nobel de médecine en 2008 pour ses travaux liés à la découverte du virus du sida). Il sait déjà que son avenir professionnel se jouera dans la proximité avec le VIH / sida. Quelques années de biologie et une thèse en virologie plus tard, il intègre l’INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale – pour de bon et devient militant de l’association AIDES. Lorsqu’il évoque ces premières années de recherche, Bruno s’enflamme : « J’ai baigné à mes débuts dans une culture interdisciplinaire. J’étais virologiste et je travaillais avec des médecins, des immunologistes, des représentants associatifs. Quand je faisais mes manipulations sur une paillasse, quelqu’un s’occupait de l’aide aux personnes malades et venait voir comment l’on travaillait. C’était exaltant ! »
Bruno Spire ne s’épanouit jamais autant que lorsque les regards et les expériences se croisent et se confrontent. « J’ai toujours peur de m’ennuyer, confie-t-il, je n’aime pas la routine, donc la vie que je mène n’est pas routinière du tout ! » Pour retrouver le plaisir de l’interdisciplinarité, il lui aura pourtant fallu changer de vie. Aux débuts exaltants de la recherche en virologie, succède une période plus morne. « Chaque discipline est repartie de son côté et c’est là que j’ai commencé à m’ennuyer. » L’événement déclencheur survient en 1997, lorsqu’il apprend qu’il a contracté le virus du sida. « Je me suis dit que désormais, il fallait que je fasse ce que j’avais envie de faire. Je voulais une recherche qui soit plus proche de la militance que j’exerçais à AIDES, j’ai donc fait une reconversion en sciences sociales et santé publique en 1998, toujours à l’INSERM. »
Passer du statut de chercheur en sciences dures aux sciences sociales ne va pas de soi et Bruno reconnaît avec humour faire figure d’ « OVNI » par rapport à ses collègues. Mais l’essentiel, l’émulation intellectuelle, est revenue et s’il est une fierté dans sa vie, c’est celle d’ « avoir eu le courage de changer de discipline. Je m’en suis sorti grâce à mon savoir profane de personne séro-concernée, malgré toutes les critiques d’anciens ou de nouveaux collègues. Mes articles scientifiques les plus cités aujourd’hui sont ceux que j’ai pu faire grâce à mon militantisme dans AIDES et pas grâce à mon savoir académique. » Bruno Spire travaille désormais dans l’unité INSERM de Jean-Paul Moatti, à Marseille, dans un groupe qui s’intéresse particulièrement aux conditions d’existence, à la qualité de vie et à l’observance des personnes touchées par le VIH/sida et les hépatites.
Le sida, « une maladie politique »
Depuis qu’il a été élu président de AIDES, en 2008, Bruno Spire martèle inlassablement le même message : « le VIH/sida pourrait disparaître en quelques décennies de la surface de la Terre s’il y avait une politique forte et des moyens financiers. Nous sommes malheureusement très loin du compte et je désespère un peu de voir que le VIH/sida, comme d’ailleurs tous les sujets de santé, est une préoccupation politique de seconde catégorie. » Les motifs d’inquiétude, pourtant ne manquent pas, à commencer par « le manque de médecins compétents disponibles qui nous conduit à vivre avec un système de santé à deux vitesses. » A vivre, mais certainement pas à s’accommoder…
Ne pas « faire pour » mais « faire avec »
Le président de AIDES a son idée sur la méthode à insuffler pour arriver à construire des mouvements où ce ne sont pas des experts qui décident : « Je veux faire reconnaître l’expertise du vécu. Le militantisme consiste à potentialiser ce vécu tous ensemble, à ne pas faire pour mais à faire avec, de façon collective, c’est tout l’intérêt d’une démarche militante. Les médecins ont compris l’intérêt de ce partenariat, beaucoup moins les institutionnels et les politiques. Ils estiment savoir ce qui est bon pour nous, font des plans sans véritablement nous consulter », regrette-t-il.
Cette année, Bruno Spire sollicitera sans doute un dernier mandat à la tête de AIDES, « le dernier » assure-t-il, rappelant qu’ « il faut savoir passer la main. » Une décision sage mais difficile pour cet homme qui ne coupe son smartphone qu’exceptionnellement. « C’est mon côté obsessionnel, j’ai du mal à décrocher ! »
Romain Bonfillon
Les [im]Patients, Chroniques & Associés et moi
« J’ai assisté aux premières réunions des Chroniques Associés dès 2005, ce n’était alors qu’un collectif informel. J’ai beaucoup aimé l’esprit militant des présidents d’associations, l’atmosphère n’était pas du tout institutionnelle, c’était un vrai lieu d’échanges. L’association [im]Patients, Chroniques & Associés en est à ses débuts et il va falloir encore un peu de temps pour monter un projet structurant où tout le monde se retrouve, participe, et qui nous serve de vitrine. Pourquoi, par exemple, ne pas construire une mutuelle qui accepte tous les malades chroniques ? Il nous faut réfléchir à des initiatives qui n’existent pas dans le système de soins actuel. Je reste de toute façon confiant, l’inter-pathologie est une approche d’avenir. »