Un déluge vient de s’abattre sur la place de l’Opéra. A proximité du kiosque à journaux, Mathieu Koehler, président de JSC – Jeunes solidarité cancer – attend, ponctuel. Le jeune homme de 24 ans que je rencontre ce jour-là ressemble à tous ceux de son âge, son parcours de vie est pourtant singulier. Derrière le sourire, rien ne filtre du combat qu’il a eu à mener. Ne transparaissent que l’enthousiasme et une féroce fureur de vivre.
Il est des anniversaires que l’on préfèrerait oublier. Mathieu Koehler vient tout juste d’avoir 20 ans lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’un cancer. « Lymphome » lui diagnostique le médecin. Les films « 50/50″ et « La guerre est déclarée » en disent long sur l’esprit combatif qui succède à la sidération de l’annonce. « Quand j’ai vu la réaction de mon entourage à l’annonce de ma maladie, je me suis dit « pas le choix, je fonce », c’était mon leitmotiv. Le moral de mes proches était tellement intimement lié au mien que je n’avais pas le droit de baisser les bras », se souvient Mathieu. Les motifs de découragement sont pourtant multiples lorsque la maladie survient à l’âge où l’on construit sa vie. Passionné de cinéma (il travaille actuellement dans une grande salle parisienne), Mathieu était en BTS Audiovisuel au moment du diagnostic. La chimiothérapie le contraint à interrompre ses études. Cette courte pause le fait passer à côté de précieux stages, mais la trêve ne dure que quelques mois. « J’avais un besoin absolu de me raccrocher aux études ». Après le traitement de chimio, vient celui de radiothérapie avec une organisation contraignante et surtout fatigante : départ à 6 heures les matins pour enchaîner avec les cours… Mathieu tient le choc. « Pendant 10 mois, j’avais une maladie à combattre pour me lever le matin ».
Le contrecoup
Pour ceux qui ont la chance de la connaître, survient alors la seconde phase, celle de l’après-maladie. « Nous n’y sommes pas préparés, observe Mathieu. On m’a dit « tu es en rémission, on te dira guéri dans 5 ans, mais tu reprends ta vie là où elle en est ». Sauf que la vie a été bouleversée ». Au sentiment d’isolement se mêle celui de vide. C’est à ce moment-là que Jeunes solidarité cancer entre véritablement dans sa vie. « Lorsque j’étais malade, je fréquentais le forum internet de l’association mais n’osais pas poster des messages. Quand je suis entré en dépression, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour ne pas tomber plus bas. J’ai alors franchi le pas, posé des questions, raconté mon histoire ». Membre de plus en plus actif, Mathieu est devenu lors des 10 ans de l’association en juillet 2012, président de JSC. Avec l’envie de « s’investir sur le terrain » notamment en accompagnant les jeunes dans des activités comme la sophrologie, la natation, la randonnée (les weekends et journées « Oxy »), etc. Outre le bien-être qu’elles procurent, toutes sont un moyen de « briser l’isolement », véritable cheval de bataille de JSC.
Peurs et incompréhensions
Née en 1998, Jeunes solidarité cancer devient en 2002 une association loi 1901. Derrière sa volonté de lutter contre le sentiment de solitude des adolescents et jeunes adultes (les « AJA ») touchés par le cancer, il y a un constat : « La famille et les amis ont beau nous soutenir, il y a des choses qu’ils ne peuvent pas comprendre. De manière générale, explique Mathieu, il y a encore un tabou autour de la maladie. Quelques amis m’ont tourné le dos, peut-être avaient-ils peur de la maladie ou ne savaient pas quel comportement adopter vis-à-vis de moi. Il y a aussi beaucoup d’incompréhensions : la peur de nous proposer des activités parce qu’on se dit qu’on va être trop fatigué, alors qu’on ne demande que ça, la peur de nous en parler, alors que nous en avons besoin pour exorciser la maladie ! ».
La société toute entière a elle aussi encore du chemin à faire pour permettre aux personnes atteintes de cancer de vivre comme les autres. Les banques en particulier. « On a des témoignages de personnes en rémission, qui se voient refuser des prêts ou appliquer des surprimes exubérantes, sous prétexte qu’elles ont été malades et qu’elles présentent plus de risques de santé. C’est inacceptable de s’entendre dire des choses pareilles au moment où l’on commence à s’en sortir, où l’on construit sa vie », s’indigne Mathieu.
Mathieu a aujourd’hui 24 ans, il est en rémission et reconnaît « s’être pas mal endurci. Vivre une telle expérience amène à réévaluer ses priorités. Je vais à l’essentiel, dire aux gens qu’on les aime, par exemple ». Dans son panthéon cinématographique, trône aux côtés de films de Fritz Lang (« Metropolis », « M le Maudit ») et du plus récent « Restless » (Gus Van Sant) le chef d’œuvre de Frank Capra, « La Vie est belle ».
Romain Bonfillon
Les [im]Patients, Chroniques & Associés et moi
« De la même manière que Jeunes solidarité cancer permet de raconter son histoire et de se sentir moins seul, les [im]Patients, Chroniques & Associés (ICA) permettent d’échanger, de se créer une petite famille, une petite « tribu ». ICA est aussi pour notre association un moyen de mieux se faire entendre. Ce réseau inter-associatif nous permet de nous lancer dans des combats que notre association ne pourrait pas mener isolément. C’est ça la force du groupe ».